Vers la fin de l’évaluation annuelle ?
9 septembre
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L’entretien annuel apparaît de plus en plus incompatible avec l’agilité prônée en entreprise. A l’heure de la révolution digitale, cette rencontre rituelle peut paraître un peu scolaire et incongrue, dépassée. Son efficacité, surtout, pose question. Faut-il y mettre un terme ou l’envisager autrement ?
C’est un article de la prestigieuse Harvard Business Review qui a osé, le premier, réévaluer l’entretien annuel d’évaluation. De nombreuses langues se sont déliées depuis.
Victime de la mode ?
S’il a fallu revoir profondément le baccalauréat, c’est que les résultats de cet examen ponctuel n’offraient plus un reflet assez juste de la réalité. La situation est la même avec l’entretien annuel et c’est pourquoi de nombreuses entreprises américaines (Adobe, Google, Intel…) ont d’ores et déjà choisi de le supprimer au profit de nouveaux systèmes d’évaluation plus en accord avec l’évolution du monde de l’entreprise. Des conversations plus fréquentes et plus personnalisées permettent désormais aux collaborateurs comme aux managers de détecter les problèmes dès leur naissance, et de rectifier le tir sans attendre.
Orientée flexibilité et coopération, l’entreprise ne fonctionne plus en année mais de plus en plus en mois, voire en semaines, et refuse les silos et hiérarchies verticales. L’entretien annuel repose précisément sur des objectifs à l’année et sur une définition des rôles et objectifs hautement hiérarchisée.
L’aspect ritualisé de l’exercice refroidit quant à lui résolument les jeunes générations, en attente d’un feed-back permanent et formés à un monde du travail où tout le monde évolue en évaluant tout le monde, même ses supérieurs.
Enfin, dans une société de l’immédiateté, une entreprise ne peut plus se permettre de fixer des objectifs à l’année : les besoins et demandes évoluent trop vite et rendent stériles des projets sur le très long terme.
Poser un diagnostic
L’entretien annuel dans sa forme actuelle apparaît alors quelque peu dépassé. Cela n’implique pas que l’outil soit mauvais, mais qu’il doive être revu, remis au goût du jour, pour retrouver son efficacité.
Il convient donc d’être prudent avant de tout changer : Chaque entreprise doit avant tout diagnostiquer le niveau d’obsolescence de cet entretien auprès de ses propres effectifs. S’il est avéré que l’entretien ne convainc pas, ne porte pas ou plus ses fruits, il est alors temps de remettre à plat son système de management. Il ne s’agit pas de supprimer l’évaluation de performance, mais de s’inspirer du mouvement US pour réinventer les modes de suivi des collaborateurs.
Nouvelles méthodes de suivi : quelques exemples inspirants
– Google a été parmi les premiers à réinventer le suivi de performance. Le processus d’évaluation est semestriel et n’est plus mené par un manager mais par un groupe. Les discussions -moins liées à la performance et plus en lien avec chaque individu (salaire, moral, intégration, etc.)- se tiennent au cours de l’année, cette fois entre manager et collaborateur. C’est également un moyen de bien séparer la motivation et l’aspiration à progresser de la quête du meilleur salaire, dans l’esprit des collaborateurs. Starbucks, dans le même esprit, a choisi de mener un suivi semestriel basé à la fois sur une auto-évaluation de l’employé, et sur un feedback dit à 360°, impliquant l’ensemble de l’équipe en lien avec chaque salarié.
– Microsoft, Dell, IBM, Netflix ou encore Deloitte ont opté pour un suivi continu via des « check-in », ou rapides mais fréquents bilans. Cargill, dans l’alimentaire, a radicalement instauré un système quotidien, l’Everyday Performance Management.
– D’autres font le pari de l’évaluation digitale, régulière, objective mais parfois pressurisante : un module permet d’évaluer en quelques clics le travail d’un collègue par email.
– Certains enfin, comme Gap, utilisent plus volontiers leur nouveau système de suivi comme un outil de motivation et d’observation : les évaluations sont trimestrielles et basées sur des objectifs auto-fixés. Des notes et des classements, mais aussi des récompenses, à la mode américaine.
Réinventer l'entretien : une mission RH complexe
Le rôle de la direction des ressources humaines est crucial. En effet, revisiter l’entretien annuel constitue un changement majeur qui ne doit en aucun cas trahir la culture de l’entreprise, ni ses valeurs et ambitions.
Pour que l’entretien retrouve sa force tout en s’adaptant aux évolutions de l’entreprise, il doit s’affranchir des cases et privilégier le qualitatif, la conversation orientée performance et potentiel plutôt que le questionnaire guidé. S’impose alors l’impératif de l’objectivité et le maintien de l’équité, comme, encore une fois, a été repensé le baccalauréat. Il s’agit en quelque sorte d’instaurer un contrôle continu, mais rendant le rôle des managers et les relations manager/collaborateur bien plus influents sur le résultat et les éventuelles décisions. Afin que cette nouvelle forme de suivi n’occasionne pas des injustices, il est nécessaire d’engager les managers, de les former à ces nouveaux exercices. Le suivi doit rester parfaitement objectif et factuel, tout en agissant vertueusement, à la manière d’un coaching, sur l’esprit et le moral des collaborateurs.
Le manager, sous cette nouvelle forme de suivi, est plus impliqué au niveau du temps, de l’engagement éthique et au niveau de l’impact pédagogique et psychologique qu’il aura : ce changement de posture impose une mise en œuvre progressive et contrôlée avec attention. Dans un premier temps, il est ainsi préférable de confronter les deux modèles, soit en répartissant le suivi entre le bilan de l’entretien annuel et celui des conversations-étapes, sollicitées par le manager ou le collaborateur, soit en conservant l’entretien annuel tout en appliquant le nouveau suivi flexible sur un groupe-test volontaire : c’est l’option choisie par le groupe Mazars. Le succès du test a permis au groupe de déployer son nouveau système en début d’année.
Rien ne se perd, rien ne se crée...
L’entreprise vit une période de transformation et le bilan annuel de compétences n’échappe pas à ce mouvement global. Il n’est pas question de supprimer toute forme d’évaluation ; bien au contraire : les collaborateurs, et plus encore les jeunes générations, sont en attente de reconnaissance, mais aussi de challenge et de regards critiques. Ils aspirent à se sentir considérés comme des individus à part entière, non comme un engrenage parmi tant d’autres, remplaçable à l’envi. Le développement permanent est essentiel, pour eux comme pour l’entreprise, et un suivi mieux adapté, plus qualitatif, souple et proche du quotidien, saura booster les équipes et servir les ambitions de l’entreprise.
Seule menace : bâcler la transition ! C’est à la fonction RH que revient la lourde responsabilité de piloter cette évolution d’un suivi annuel à un suivi continuel et à la demande, tout en mesurant ses impacts sur les équipes autant que sur la performance globale de l’entreprise. Le défi est de taille, mais l’enjeu vaut cette peine ! Les entreprises pionnières, aux Etats-Unis comme en Europe, affichent toutes des bilans très positifs.