ChatGPT : allié ou menace pour les RH ?

Article écrit par Aravati

4 mai

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Depuis quelques mois on ne parle que de lui : ChatGPT fascine autant qu’il inquiète. Mais concrètement comment utiliser ce nouvel outil d’intelligence artificielle pour la fonction RH ? Quels sont ses avantages ? Ses limites ? Cinq experts RH font part de leur expérience. Et expliquent comment ils font évoluer leurs pratiques professionnelles. Témoignages.

Hymane Ben Aoun, fondatrice d'Aravati (groupe Humanskills) et présidente de la commission recrutement Syntec Conseil.

« L’arrivée de ChatGPT me fait penser à l’arrivée de Linkedin en 2005/2006. A l’époque, tout le monde disait, y compris Linkedin, que les cabinets de recrutement n’avaient plus aucune valeur ajoutée puisque tous nos clients pouvaient avoir accès à tous les potentiels candidats sur le réseau social. Or, il s’est avéré qu’identifier les candidats était une contrainte mais que ce n’était pas suffisant … Nos clients ont donc continué à nous confier des missions de recrutement car en tant que spécialistes du recrutement nous étions en mesure, au-delà de l’identification des candidats, d’apporter notre propre expertise dans l’analyse du besoin, des postes et dans l’évaluation des candidatures.

Le rythme de la recherche a toutefois évolué, le temps de détection s’est beaucoup raccourci et nous avons pu consacrer plus de temps à l’essentiel, le conseil et une relation de grande qualité avec toutes nos parties prenantes.

L’émergence de ChatGPT est pour moi un contexte similaire. Nous pouvons utiliser cet outil pour simplifier beaucoup de taches ; rédiger un brouillon d’offre d’emploi; préparer une trame de fiche de poste ; lister les compétences indispensables à avoir pour occuper tel ou tel type de poste ; définir des questions d’entretien structuré pour évaluer une compétence technique ou comportementale…

Mais il faut être extrêmement vigilant. D’une part, la notion de confidentialité n’est pas garantie. Nous ne savons pas où et comment sont conservées les données versées dans ChatGPT. Or, à l’heure du RGPD, cette absence d’information pose problème. D’autre part, ChatGPT ne fait pas la distinction entre le vrai et le faux. Vous ne pouvez pas prendre pour argent comptant ce qu’il écrit. Il serait dangereux de ne pas être capable de corriger ses approximations, oublis ou erreurs.

Il faut réellement avoir le discernement nécessaire pour analyser ce qu’il produit et par exemple pouvoir hiérarchiser les aptitudes primordiales à un poste, comprendre le contexte, adapter la demande à un environnement donné.

En somme, ChatGPT aujourd’hui pourrait être un super assistant. Il peut nous libérer de certaines tâches chronophages à faible valeur ajoutée pour nous permettre de nous concentrer sur le fond : le conseil, la relation et l’analyse, qui représentent l’essentiel de notre job. Mais attention, il ne faut pas croire qu’il peut faire la totalité de notre job.

Certains cabinets pourraient être tentés de recruter des consultants plus jeunes et moins expérimentés pour exercer notre métier, ce qui serait d’après moi un énorme risque. Il faut faire preuve d’expérience et de discernement, bien connaître son métier et avoir une réelle expertise pour pouvoir utiliser ChatGPT à bon escient ».

François Geuze, ancien DRH, consultant expert pour Dever et e-Consulting RH.

« ChatGPT est une application d’intelligence artificielle qui repose sur une logique de synthèse, en agrégeant un ensemble de texte, d’informations, de documents. La qualité des réponses va reposer sur la pertinence des questions posées et sur la capacité de l’utilisateur à agir de manière interactive, comme si on parlait à quelqu’un en face à face. 

Cet outil peut être utile pour la fonction RH. Il peut par exemple aider à rédiger une offre d’emploi classique, répertoriant des compétences déjà identifiées sur le Net pour des emplois similaires. Dans la même logique, il permettrait d’aider à la détermination des savoir-faire clés pour un poste donné ou d’accompagner la montée en compétences d’un collaborateur en ciblant les formations nécessaires à son évolution. 

Plus techniquement, il peut, sur un plan juridique, être utile à la préparation d’un accord sur le télétravail, d’une lettre d’avertissement. 

On est ici dans une logique de recommandations. 

En somme, cet outil permet de gagner un temps indéniable. Il répond sans fautes d’orthographe et très rapidement. Mais attention, il peut faire d’énormes erreurs. Car  les réponses données sont le reflet de la moyenne des éléments collectés sur le Net et souvent médiocres. ChatGPT n’a aucune imagination, aucune intuition.

Surtout, les réponses ne sont pas du tout contextualisées : elles ne sont pas adaptées aux valeurs, à la culture au secteur d’activité d’une entreprise donnée. On restera dans le générique. Un copier-coller n’est pas suffisant pour révéler l’ADN d’une société. 

Ne faisons pas de cet outil un épouvantail mais essayons de l’utiliser de manière appropriée, en gardant un esprit critique. Les professionnels RH ne sont pas sur le point de disparaître ».

Dan Guez, co-fondateur du cabinet de recrutement Opensourcing, spécialiste du marché de l'emploi en France.

« Aujourd’hui, nous sommes tiraillés par deux sentiments face à ChatGPT : l’admiration – l’outil est bluffant – mais aussi la crainte. Plusieurs pans de la fonction RH sont, en effet, touchés par cette révolution. Dans le recrutement, par exemple, l’apport de l’outil est indéniable : ChatGPT peut écrire une offre d’emploi pour un poste très pointu demandant des compétences techniques, sans aucune difficulté. Et ce, dans un temps record. ChatGPT peut aussi préparer un questionnaire pour un test métier, réaliser une fiche de poste ou refaire un site carrière.  Dans la formation, l’outil peut concocter des modules pédagogiques, sans l’aide d’un organisme de formation.

D’autres fonctionnalités très innovantes devraient voir le jour, par exemple, la mise en relation de ChatGPT et d’un candidat, sur le modèle d’un chatbot ou encore l’intégration de l’outil à des fichiers Excel ; ce qui permettrait ainsi d’agréger des données comme les conventions collectives à la paie.

Sous l’impulsion de ChatGPT, les métiers RH vont indéniablement se transformer. Dans le recrutement, il n’y aura plus aucune valeur ajoutée à écrire une offre d’emploi. Mais attention, ils ne vont pas disparaître. Il faudra toujours un professionnel RH pour sourcer les candidats, distiller la marque-employeur de l’entreprise dans une offre d’emploi, apporter une touche personnelle. Le travail de ChatGPT est un premier jet. Il n’empêche ni la validation, ni l’enrichissement d’un professionnel.

Mais il est crucial aujourd’hui de redéfinir les métiers RH, en dégageant une valeur ajoutée aux tâches jusqu’ici exercées, en déterminant de nouveaux rôles. Ce qui suppose, en amont, une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences spécifique à la fonction RH, incluant un plan de formation dédié ».

Pascal Vitoux, Chief Product & Technology Officer de Syfadis (éditeur de logiciels expert du développement des compétences).

« ChatGPT s’immisce progressivement dans l’entreprise, à tous les niveaux. Dans la formation, par exemple, il est une formidable source d’inspiration. Là où Google peut énumérer les sources, ChatGPT va plus loin en apportant une synthèse. Il est possible, par exemple, de lui demander un programme de formation sur huit semaines pour une montée en compétence spécifique. Il peut créer des référentiels de compétences, une tâche complexe pour les entreprises, qui, suivant leur taille, peuvent compter des milliers de savoir-faire. ChatGPT peut également aider à la conception de questionnaires et de quizz, qui interviennent pour valider des formations ou pour guider la montée en compétences d’un salarié. Il peut être utilisé comme un outil de coaching, en guidant l’apprenant dans sa formation.

Il y a un avant et un après ChatGPT pour les responsables formation.

Reste que l’outil a ses limites. Par exemple, sa base de données s’arrête à 2021. Par ailleurs, il met à mal la notion de propriété intellectuelle, lorsque l’on crée du contenu en s’inspirant de celui des autres… En outre, ChatGPT pose le problème de la fiabilité des données mais aussi de leur confidentialité. Si on lui confie des données à analyser, il faut s’assurer qu’elles ne soient pas ensuite récupérables par d’autres. Il faut donc utiliser ChatGPT avec un esprit critique.

In fine, ChatGPT ne va pas remplacer les responsables formation. Il va leur faciliter le travail. Les RF pourront se concentrer sur la personnalisation de la formation, pour éviter les décrochages, pour rendre les formations plus efficaces et adaptées aux besoins de chacun. Un défi passionnant ».

Emeric Kubiak, responsable de projets R&D au sein d’Assessfirst, une société spécialisée en recrutement prédictif.

« Dans le domaine des ressources humaines, ChatGPT a aussi un rôle indéniable. La technologie est déjà en mesure d’intervenir au cours des différentes étapes du recrutement, rédaction d’offre d’emploi ou de fiche de poste, ébauches de messages de contact candidats, chatbot RH en temps réel, création d’une grille d’entretien structuré…

Mais attention : plusieurs écueils sont à éviter. Tout d’abord, il ne faut pas prendre pour acquis tout ce qui sort de ChatGPT. Si l’outil est performant, il fait des erreurs. Il est donc nécessaire que chacun garde une lucidité critique. Par ailleurs, il ne faut pas confondre intelligence et domination : ChatGPT reste un simple outil. ll n’a pas d’émotions, de conscience ou la volonté de nous dépasser. Enfin, il faut savoir poser les bonnes questions : la réponse de ChatGPT est, en effet, aussi précise et informative que l’est la question. Par exemple, lui demander de “rédiger une offre d’emploi pour un poste de directeur financier » conduit à une description somme toute générique et dont l’impact en termes d’expérience candidat est questionnable. Une utilisation plus pertinente consisterait à lui donner des références, en précisant le domaine d’activité, les valeurs de l’entreprise, le ton ou le style du texte à générer afin d’assurer un résultat aussi efficace qu’unique en son genre.

ChatGPT peut aussi être utile dans le domaine de la gestion des ressources humaines, en apportant, par exemple, des idées sur la structuration d’un programme de formation.

Dans ces différents cas, ChatGPT se veut toutefois un outil d’assistance, qui permet de faire gagner un temps considérable : en ce sens, chacun doit avoir le recul nécessaire pour compléter et enrichir les contenus générés, plutôt que de céder à la nonchalance d’un unique “copier-coller”.

Au-delà, ChatGPT est-il en mesure d’analyser des candidatures ? De départager des candidats ? D’identifier quel collaborateur devrait obtenir une promotion ? En fait, le champ d’application est tellement vaste qu’il serait compliqué de réussir à tous les lister. Et c’est là tout l’intérêt : c’est que ChatGPT est aussi puissant et créatif que ne l’est la personne qui l’utilise. Attention toutefois : sur tous les sujets, la loi interdit toute prise de décision automatisée à l’aide d’algorithmes ».