Le présentéisme, un problème de maturité managériale
9 septembre
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La flexibilité est plébiscitée par de nombreux salariés. Mais les managers sont encore sur la retenue selon une étude menée par l’ESSEC et encore très réticents face à des évolutions pourtant inéluctables.
A l’heure actuelle, seuls 15 % des salariés français bénéficient de la possibilité d’accéder à la flex’. La France est très en retard par rapport à ses voisins européens. Pourtant, les salariés, eux, sont prêts. Ils sont ainsi près de 80 % à être favorable à la transformation de leur espace de travail et deux tiers des salariés aimeraient bénéficier de nouvelles méthodes de travail (organisation du temps de travail, modes de collaboration au sein des équipes…). Les managers apparaissent donc de plus en plus en décalage avec les aspirations des salariés. Résultats ? Les entreprises à la recherche de profils rares ne trouvent pas preneur. Pour Hymane Ben Aoun qui dirige le cabinet de chasse spécialisé dans le digital Aravati, les managers doivent impérativement évoluer sur le sujet.
Le grand problème des managers à l’heure actuelle c’est qu’ils veulent absolument garder leurs collaborateurs près d’eux physiquement. C’est très handicapant car cela ne correspond pas du tout aux attentes des collaborateurs. On dit tout et son contraire : par exemple on dit aux gens : « Vous n’avez pas de poste fixe, vous pouvez vous installer n’importe où dans les locaux, soyez libre » et à côté de cela, il y a une vague de managers qui ont besoin de savoir à quelle heure les salariés arrivent et repartent. Les managers sont persuadés d’avoir raison et nous disent : « Je ne peux pas travailler intelligemment sans les voir ».
Les managers ont peur de faire face à leurs propres limites
Pour manager des gens qu’on ne voit pas il faut avoir mis en place des règles de travail efficaces. Si cela ne fonctionne pas c’est un problème de management et non de présence physique dans l’entreprise. Il faut définir des objectifs et des moyens, le tout donnant des missions. Si les objectifs sont clairs, que des moyens sont mis à disposition et que les points de contrôles sont clairs aussi, que le salarié soit sur place ou pas ce n’est même pas le sujet. Mais il est évident que si vous ne savez pas définir des objectifs, concevoir un plan d’actions et que vous faites du micro management là vous avez besoin de les avoir à côté de vous. Les managers ont peur de faire face à leurs limites et à leurs propres responsabilités.
Le management doit évoluer au même titre que les outils
Hier ce n’était pas un sujet d’actualité car il n’y avait pas de moyens mis à disposition et d’outils de se connecter à distance. Aujourd’hui on travaille en agile, on fait des stands up meeting, on peut tout faire en ligne ou par téléphone. Il faut collaborer en partageant l’écran. Le management doit évoluer au même titre que les outils. On le voit dans les startups : dans ces entreprises cela n’a jamais été un sujet. Dans les entreprises traditionnelles, il y a un vrai frein. Or, à côté, nous avons des jeunes collaborateurs qui arrivent sur le marché et qui savent travailler comme cela. C’est difficile pour eux, ils arrivent dans une entreprise et on leur dit : « Toi tu te mets là, tu arrives à telle heure, tu ne peux pas partir avant telle heure, il y a des réunions physiques il faut que tu sois là », comment voulez-vous qu’ils aient envie de travailler dans ces entreprises ? Les groupes internationaux l’ont bien compris car ils n’ont pas le choix. Leur siège est à Paris, les filiales partout dans le monde. Et cela se passe très bien.
C’est un problème de maturité managériale
On pourrait penser que c’est un problème générationnel mais non. C’est un problème de maturité managériale et de formation. De nombreux managers le sont devenus par loyauté, par mérite et le management n’est pas leur spécialité et on ne se pose pas assez la question de les accompagner de manière construite : je ne jette la pierre à personne mais c’est évident qu’ils improvisent et qu’ils font ce qu’ils peuvent. Si le manager ne sait pas manager, il ne peut évidemment pas laisser les gens dans la nature sans les voir, il en sera incapable. Cela renforce le sentiment d’insécurité et c’est très français. En Allemagne, les centres de décision sont décentralisés : Berlin, Munich, Hambourg : ils ont l’habitude de travailler à distance. En France, tout est centralisé à Paris à 80 %.
« Je ne la vois pas, est-ce qu’elle travaille ? »
Selon moi, la présence physique n’est pas un sujet. La confiance, voilà le vrai sujet : « Je ne la vois pas, est-ce qu’elle travaille ? » On peut, aujourd’hui, s’inspirer des méthodes américaines de management et de collaboration : là-bas c’est quand on reste tard qu’on est mal vu, c’est qu’on n’a pas fait ce qu’il faut pour partir à l’heure et qu’on est un peu tire-au-flanc. Chez nous, c’est le contraire sauf chez les boîtes jeunes. Plus la boîte est inspirante, plus elle donne de moyens, plus elle donne d’autonomie plus la collaboration est fluide.
A cause de ces façons de penser, les entreprises traditionnelles n’arrivent plus à recruter mais cela va changer. Quand une entreprise cherche à recruter sur des postes en pénuries, de toutes façons, vous n’avez pas le choix : si un candidat impose sa vision des choses et qu’elle ne vous correspond pas, vous dites non au candidat, vous redites non et puis vous dites oui. Vous faites un essai et puis une fois que tout le monde est en ordre de marche c’est parti et cela fonctionne.